FABRICATION.

mardi, septembre 26, 2006

Le tas.

Mot banal, forme banale, omniprésente, sur chaque trottoir de chaque rue. En affiche : un tas, une montagne de cigarettes dans un appartement. Sur un polaroïd de Guy Bourdin : une meule de foin, un tas de bois coupé. Jusqu'a ce cours de Roland Barthes (l'ŒUVRE COMME VOLONTÉ), pendant lequel le thème est abordé sur un mode prudent, presque à l'aveuglette, les élèves ne peuvent s'empêcher de rire à l'expression "tas pensant", "le tas est sensible […] il offre une grande surface de contact avec l'atmosphère".
Dans Le troisième Homme, Orson Welles court comme un cabri, ou plutôt un rat, sur les ruines (en tas) de Vienne. Son personnage se résume dans cette scène : le criminel qu'il est devenu foule aux pieds tout ce qu'a été cette ville (peut-être également tout ce qu'il a été), passé, culture, agencements bons ou mauvais.

L'idée peut être la suivante : le tas est pris entre plusieurs mouvements.
Un désir de construction ; entasser, mais de manière éphémère. Le tas ne dure pas, il se déstructure, se décompose : déchets, éboulements, ruines, bois coupé. Le tas conserve le souvenir encore visible d’une forme (ville, maison, arbre, pièces détachées) qui n’est plus ; tout en perdant peu à peu lui-même sa forme de tas : affaissement, voire décomposition des éléments du tas. Les restes de ce qui a disparu disparaissent à leur tour. Idée de souvenirs non agencés, non utilisés, mis au rebut.

Cette image du tas vient se placer presque à l'opposé d'une autre image, celle du nid. Dans une certaine mesure, le nid organise le même type de matériaux — trouvés ça et là, déchets, brindilles — pour en faire une construction, une maison.

LE TROISIEME HOMME. Carol Reed.